Lorsque, comme celui-ci, un disque vous saisit à la gorge parce qu'inouï, arpentant des chemins buissonniers, il faut laisser taire quelques réserves (deux ou trois plages longuettes) pour y prendre ce plaisir rare et violent de l'ientendu familier. Valentin Clastrier a choisi la vielle à roue comme l'on entre en lévitation. Jusqu'à l'hypnose du son, jusqu'à la connaissance intime du moindre recoin de l'instrument. Louis Sclavis l'avait rencontré en 1989 lors du festival des Musiques croisées de Saint-Sever. Fasciné, il avait proposé une collaboration. Quelques années et compagnons de route après, la voici. Les autres contrebandiers de l'étrange sont d'ex-"barthélémiens" : Michel Godard, Jean-Louis Matinier, Michael Riessler et Gérard Siracusa. Associer tuba, serpent, clarinettes, accordéon, percussions et vielle à roue pouvait tourner à vide. Le son pour le son. Mais Sclavis, Godard, Riessler... et Clastrier lui-même s'avèrent d'excellents arrangeurs du dérangement. Acide, remuante, insolite, ancestrale, leur musique vaque rarement le nez au vent. Clastrier, y compris dans la construction du disque en zig-zags, sait exactement où il mène son monde. "Avec son archaïsme et sa modernité, ses cris d'orages, sa roue-archet-infinie émergeant d'une plaie ouverte non anesthésiée, la vielle, à elle seule, n'est elle pas une hérésie ?" écrit-il en guise d'invitation au voyage en pays cathare. Prise de son parfaite signée du lyonnais Silvio Soave.

Alex Duthil, chronique du CD "Hérésie" (****) pour Le Monde de la Musique Jazzman n°163, Fev 93